En novembre 1944, Raoul Dautry est nommé à la tête du ministère de la Reconstruction et de l’Urbanisme (MRU), au sein du gouvernement provisoire de la République Française. Il faut s’empresser de reconstruire un pays en grande partie dévasté ; dès mars 1945, afin de témoigner et recenser, est créée la collection des photographies du MRU. En 2015, l’érosion côtière et la problématique littorale, amènent le ministère de l’Écologie en charge de la mer, à reprendre les points de vue du MRU et à les reconduire. Cette action avant-après fonde une mission nationale photographique transversale et pédagogique qui a actuellement à son actif plus de 150 avant-après.
Saint-Malo Intramuros et le service photographique du MRU (1945-1964)1
La collection de photographies du MRU2 , qui devait « photographier pour convaincre »3 fut alimentée dans les premiers mois par un unique photographe nommé Guillaume. Son responsable, Jean Kérisel, directeur du Plan, se rend par deux fois aux États-Unis avec une mission française4 . Il y prépare notamment l’exposition des techniques américaines de 1946 qui aura lieu au Grand Palais, en collaboration avec l’Office of War Information (OWI). Le fonds photographique de l’OWI est celui de la Section historique de la Farm Security Administration (FSA), une administration qui a fait de la photographie un acteur à part entière, au service de la propagande de l’État et du New Deal promis par Roosevelt. Dès mai 1945, avant son deuxième séjour de l’autre côté de l’Atlantique, Jean Kérisel confie à Guillaume la mission de recruter d’autres photographes5 . La première recrue se nomme Henri Salesse, en juillet 1945, puis c’est au tour de Pierre Mourier, en octobre de la même année. D’autres recrutements suivront encore, le service photographique du MRU est en ordre de marche.
Les vagues du service photographique sur Saint-Malo intramuros
De 1945 à 1947, les photographes salariés du MRU réalisent 10 000 clichés sur le territoire français afin de documenter les destructions, le déminage, les premiers chantiers de déblaiements, les constructions provisoires, les chantiers d’expériences ou les expositions sur la reconstruction. Durant ces trois ans, qui voient les auteurs des clichés rester anonymes dans les cahiers d’inventaires, Saint-Malo est photographiée en septembre 1945 lors d’une tournée de 2 jours, dans la Manche et en Ille-Vilaine, avec sur les 116 photos de l’ensemble seulement 13 photos pour l’Ille-et-Vilaine, représentant Saint-Servan et Saint-Malo, et à peine 5 photos illustrant les ruines de Saint-Malo Intramuros. Un an plus tard, en octobre 1946, une autre tournée concerne l’Orne, le Morbihan et l’Ille-et-Vilaine, mais le sujet du reportage porte essentiellement sur les constructions provisoires. Autour de Saint-Malo, ce sont les cités commerciales provisoires de Paramé ou de Rocabey qui s’inscrivent dans la tournée.
Fin 1949, le service photographique connaît une transformation notable. Pour servir la politique de reconstruction moderne et ambitieuse menée par Eugène Claudius-Petit, une circulaire annonce que « toute photo permettant de constater… est à priori intéressante »6 et les clichés des photographes indépendants sont désormais les bienvenus. Cette ouverture vers l’extérieur va signifier dans les registres la fin de l’anonymat, tout photographe confondu. Et dès juin 1950, Henri Salesse, désormais identifié, effectue une grande tournée dans la Loire-inférieure, la Manche, le Morbihan, le Finistère et l’Ille-et-Vilaine afin de photographier les chantiers d’État en cours. Sur 281 photos de la tournée, 61 concernent l’Ille-et-Vilaine et 14 Saint-Malo intramuros. À l’intérieur des remparts, le photographe réalise des vues d’ensemble des ICE, immeubles collectifs d’État, et d’autres immeubles en construction. Il ne s’attarde sur aucune vue de détail, exceptée lors d’une photo prise depuis l’étage d’un bâtiment en chantier. Dans les cahiers d’inventaires, on crée des colonnes intitulées type de bâtiment, modes de construction et architectes, et ces colonnes se remplissent de tournées en tournées : habitations et commerces, administration, groupe scolaire, granit, béton armé, moellons, Arretche, Cornon, Murat, Auffret…
Parfois, entre deux reportages réalisés par les photographes du MRU, quelques photos proviennent d’autres sources. Pour Saint-Malo intramuros, c’est la photo d’un dénommé Baclet qui intègre le fonds en juillet 1950. La photo n’est pas nette, mais elle est conservée et inventoriée, c’est donc qu’elle peut servir. Deux mois plus tard, c’est Pierre Dalloz en personne, le directeur du service de l’Architecture, collaborateur d’Eugène Claudius-Petit, qui photographie le groupe scolaire d’Auffret. Tout le long de son passage à la tête de la direction de l’architecture, cet ancien élève d’Auguste Perret devenu homme clef de la Reconstruction prendra des photographies dont il lèguera un certain nombre aux archives photographiques du ministère. En 1949, 1950 et 1952, ce sont des photographies aériennes de Saint-Malo prises par Henrard qui sont signalées dans les cahiers d’inventaires, bien que le ministère ne fasse pas l’acquisition des négatifs.
Plus de cinq années passeront jusqu’au prochain reportage. En mars 1956, alors que le MRU est devenu MRL7
, il est temps de montrer Saint-Malo qui revit pleinement. C’est encore Henri Salesse qui part en Ille-et-Vilaine où il réalise 140 clichés dont 11 de Saint-Malo intramuros. Le photographe capte cette fois-ci des ambiances de rue : les commerces, le casino, les porches, les passants et les voitures font partie du paysage. Pour seul chantier un aménagement de voirie devant la sous-préfecture. Et l’intérieur des remparts est photographié pour la dernière fois.
C’est à cette période, au milieu des années 1950, que la photographie couleur Kodachrome fait son apparition dans le service photographique. Cette pratique très courue des amateurs et des magazines trouve sa place au ministère pour des raisons documentaires ou pour servir des pratiques de diffusion par projection. Mais la photo couleur est encore loin d’avoir acquis ses lettres de noblesse. Elle est gérée à part dans le fonds photographique, comme un supplément. Sur le terrain, les photographes possèdent deux appareils et doublent parfois les prises de vue. Les photos couleur sont davantage considérées comme des doubles des originaux - mais en couleur - que comme des photos à part entière.
Ce doublement en Kodachrome sera utilisé en 1959 et 1964, lors des deux derniers reportages en Ille-et-Vilaine où Saint-Malo intramuros est représentée. La Reconstruction se termine, laisse place à la Construction, et il n’est plus nécessaire de récolter des images venant de toute source. Les clichés des photographes fonctionnaires sont suffisants pour alimenter la propagande, ce qui va aussi signifier leur retour dans l’anonymat. Les auteurs des deux derniers reportages malouins ne sont ainsi pas authentifiés. En 1959, dix photographies représentent l’extérieur des remparts, le casino, et un chantier du port. En 1964, le photographe fournit trois vues d’ensemble des remparts depuis le port, un constat de l’objectif atteint en guise d’épilogue, comme si vingt ans après la fin de la guerre, le ministère préparait une collection de cartes postales de ses villes reconstruites.
Une histoire de commande
Si entre 1945 et 1964, le service photographique du ministère produit plus de 40 000 images sur tout le territoire français, Saint-Malo intramuros ne constitue qu’un ensemble proportionnellement faible d’une cinquantaine de photos et, ce, malgré les visites plutôt fréquentes des photographes dans le département. L’ensemble des thématiques est illustré, ainsi que la pluralité des îlots et donc des architectes, mais la documentation est réduite : aucune image technique, aucun portrait d’ouvriers comme on peut le voir pour d’autres chantiers emblématiques du MRU, tels ceux de l’îlot 4 à Orléans où de Noisy-le-Sec quant à eux photographiés 2 000 fois chacun ; aucune représentation non plus des anciens bâtiments réhabilités semblant incontournables, comme le château, la cathédrale ou la maison de la duchesse Anne. Pourquoi ? Parce que l’ensemble de ces photographies n’est qu’une vision de la Reconstruction, celle d’un service photographique répondant à une commande de l’État. Vues d’ensemble des chantiers et silhouettes de la ville suffisent à illustrer la propagande d’une administration qui promeut essentiellement Saint-Malo pour se valoriser de reconstruire aussi en respectant les traditions.8
Pour en savoir plus sur la reconstruction de Saint-Malo, cliquer ici
- Cet article a été traduit et publié dans Storia urbana, revue italienne, n° 155, avril 2017 ↩
- «Collection des photographies du ministère de la Reconstruction et de l’Urbanisme – mars 1945 » est inscrit sur la première page du premier cahier d’inventaire. ↩
- Didier Mouchel, Photographier pour convaincre : Le Havre dans le fonds photographique du ministère de la Reconstruction et de l’Urbanisme, 2017&PLUS, revue culturelle du Havre, janvier 2015. ↩
- Entretien avec monsieur Jean Kérisel, le 25 septembre 1986, Paris - extrait de Baudouï (Rémi), Rosen (Jacques), Étude des processus d’ajustement administratif aux réalités sociales, économiques et innovations techniques du ministère de la Reconstruction et de l’Urbanisme 1940-1952. École d’architecture de Nancy, ministère de l’Équipement, du Logement et des Transports, septembre 1994, vol. 2. ↩
- « J’ai l’honneur de vous faire connaître que c’est conformément à mes instructions données avant mon départ en mission, que M. Guillaume a recherché un aide photographe. Je confirme les propositions de M. Guillaume dont le choix s’est arrêté sur M. Salesse » Note de Jean Kérisel, datant du 30 juillet 1945 et adressée à Monsieur le Chef du Service du Personnel et du Matériel. ↩
- Extrait de la circulaire n°49-1503 portant en objet « Archives photographiques », 7 octobre 1949, signée André Pierrard, chargé de mission auprès du ministre de la Reconstruction et de l’Urbanisme. ↩
- Ministère de la Reconstruction et du Logement. ↩
- «… Ici donc, à Saint-Malo, c’est la fidélité à l’histoire, la force du souvenir, qui a guidé l’architecte » - Rue Neuve, film de propagande du MRL – réalisation Jack Pinoteau – 1956 - production Les Films Caravelle ↩